Le pont des carmes
Le pont médiéval des Carmes détruit par les grandes inondations de février 1746 devra être entièrement reconstruit sous l’aspect que nous lui connaissons aujourd’hui. C’est un aspect disparu de Vivonne et probablement inconnu de nombreux Vivonnois.
Deux documents complémentaires, conservés aux Archives départementales de la Vienne, permettent de mieux le découvrir. Il s’agit d’un plan et d’un croquis de ce pont levés, probablement dans la première moitié du XVIIIe siècle, conservés sous la côte Cs 115 et du témoignage du curé de Marigny-Chemereau sur un registre paroissial portant sur les inondations de février 1746.
Un pont médiéval typique
Ce pont qui permettait le franchissement de la Vonne par la route de la Poste de Poitiers à Bordeaux prenait assise sur la rive nord de la rivière à l’est de la « Maison des Carmes » ou couvent des Carmes, élevé à la toute fin du XIVe siècle, probablement commandité par la famille Rochechouart pour y établir leurs sépultures. (1)
A la vue du plan, et des deux tours semi circulaires dessinées, il est tentant de supposer qu’il était encadré par une porte d’entrée fortifiée dans le prolongement des fortifications qui devaient s’élever le long de la Vonne. La plus grosse des tours, au bord est de la culée du pont, serait alors la tour est de cette porte d’entrée fortifiée ressemblant à un châtelet d’entrée.
Description du pont
La Vonne était franchie par l’intermédiaire d’un pont, reposant sur 7 arches s’appuyant sur 6 piles, ces blocs de maçonnerie supports . Les extrémités s’appuyaient sur des butées , « côté Vivonne » et côté « sortie de Vivonne ». Les piles les plus exposées au courant, « face amont » étaient protégées par des avant-becs.
On distingue trois arches voûtées en plein cintre à chaque extrémité et au centre du pont et 4 arches voûtées en berceaux brisés. Le pont semble en léger dos d’âne, le tablier ou sol du pont descend en deux pentes à partir du milieu. On peut avancer l’idée que sur les trois piles nord, avec avant becs, on ait des refuges pour permettre aux piétons de se mettre à l’abri de la circulation. On remarquera que la culée sud présente un élargissement net ou aile pour faciliter l’entrée et la sortie du pont. On peut de chaque côté de ces ailes accéder à la Vonne.
Le commentaire du curé de Marigny-Chemereault
Il précise que les piliers reposaient sur « des pieux en bois », moyen utilisé de longue date pour stabiliser ce type de construction.
« En arrivant à Vivonne du sud, on pouvait apprécier le village de Vivonne baigné par les eaux de la Vonne et le soleil. Devant nous, à l’horizon, d’ouest en est, l’église Notre-Dame de Says, le château médiéval, profondément touché par la Guerre de Cent ans et les guerres de Religion, l’église Saint-Michel, chapelle du château et à l’est l’église Saint-Georges. A leurs pieds, les maisons villageoises longeant le canton des forgerons et la basse rue (rue de la mairie actuelle) et au premier plan, le couvent des Carmes, son église, la rive gauche de la Vonne, probablement bordée de lavoirs où l’on accédait par des ruelles, et ce qu’il reste de la défense sud du bourg, où l’on distingue quelques logis avec tours, depuis la porte du pont des Carmes jusqu’au moulin seigneurial et le pont de la levée où l’on devait accéder au bourg par une autre porte fortifiée ». C’est ce dernier quartier qui va se trouver en pleine effervescence au beau milieu du mois de février 1746, comme bon nombre de personnes de la basse vallée de La Vonne.
Récit d’une inondation catastophique par le curé de Marigny-Chemereau : Un jour et demi de pluies accompagnées d’un orage aux conséquences catastrophiques:
« En 1746, le 19 février, en Carême , le jour de dimanche, il commença à pleuvoir sur les deux heures de l’après-midi, une pluie médiocre qui continua jusqu’à la nuit venant du lundy au mardy où pendant cette nuit il plut abondamment avec un gros orage… ».
« …Ce qui fut cause que les rivières vinrent si monstrueuses que personne ne les avait jamais vues si haut montées. Sur la Vonne les eaux y firent un grand désordre car il n’y eut point de pont n’y moulin où elles démolissent ou renversent quelque chose… »
A Marigny-Chemereau, le moulin et le pont endommagés
« Au moulin qui est ici au bout du jour l’eau avait bien renversé la moitié des murs des logements et du moulin et avait aussi grandement endommagé le pont… » A la fontaine qui est ici proche du château, l’eau a monté par dessus la quatrième pierre du pavillon de la fontaine, lesquelles pierres sont au-dessus de la dite fontaine et la ditte quatrième pierre est au-dessous une qui a le bout de carre cassée … et emporté ; autre remarque pour la dite fontaine l’eau a entré dans un trou de chaffau où il y a une autre pierre dans lequel est dans le mur qui est entre les deux fontaines, ce trou est élevé de la terre qui est au pied du mur de 5 pieds et quelques pouces de hauteur et en prenant le bas de cette élévation de terre, ce trou se trouve élevé de 7 pieds de hauteur … »
A Vivonne, le pont des Carmes endommagé :
« Le Clain, grâce à Dieu , à Vivonne n’avait pas augmenté à proportion de la Vonne et mesme on l’avait vu beaucoup plus monstrueux d’autrefoy quoiqu’il ne laissât pas de devenir grand. A Vivonne la basse rue étant proche de la rivière de la Vosne était inondée, l’eau qui montait de dvant les Carmes et celle qui jaillissait du côté du pont de la levée se joignaient presqu’au milieu de la rue et de ce déluge le pont de Vivonne en fut endommagé ce qui a engagé sa majesté à en faire un autre lequel est beaucoup plus ,élevé et bâti avec de bonnes grosses pierres de taille et sur le roc que l’on a cherché pour y mettre les fondements au lieu que l’autre pont n’était point bâti en grosse pierre comme celuy d’aujourd’hui mais sur des pieux de bois ou les fondements étaient appuyés ».
Ainsi, ce témoignage écrit vient nous éclairer sur la fin de ce pont médiéval. Il prend, alors, encore plus de force en parallèle avec le plan et le profil du pont qui a connu, durant sa vie, nombre de charrois allant d’Angoulême vers Poitiers ou vice et versa, de passages de bestiaux venant aux foires et marchés de Vivonne ainsi que le service de la poste royale .
Le nouveau pont des Carmes continue à subir les assauts des crues comme celle de 1982, marquée pour les anciens Vivonnois comme jamais vue. Il y en a eu bien d’autres comme nous l’a montré Jacques Roussel dans son travail précieux, publié à compte d’auteur en février 1983, VIVONNE, Les crues d’hier et d’aujourd’hui. La crue du siècle 20-23 décembre 1982
Le pont des Carmes
Années 50
Anecdotes.
Laissons, pour terminer la parole à notre témoin des inondations de 1746 : « A Poitiers, l’eau a passé les gardes du pont de Rochereuil ». Décidément 1982 rappelle 1746.
Jean-Pierre Chabanne
(1)PUISSANT,VIVONNE (86)- Petite ville du Haut-Poitou de l’Antiquité à la fin du Moyen Âge, cahier n°32, association des publications chauvinoises, 2005