L’année 1943
Les difficultés de la vie quotidienne et le S.T.O.
La guerre se poursuit et les restrictions se font de plus en plus sentir. Dans les campagnes il faut s’habituer au pas lent des boeufs. Avec l’absence d’engrais les récoltes sont peu abondantes. Le matériel n’est pas toujours facile à réparer et les artisans manquent de matière première pour assurer une réparation convenable. A tous ces ennuis vient s’ajouter l’application de la loi sur le travail obligatoire. Ainsi, en date du 25 février monsieur le préfet demande à tous les maires de bien vouloir ételir un bulletin de recensement n° 1 et une carte modèle n° 3 pour tous les jeunes gens de la commune nés du 1 janvier 1920 au 31 décembre 1922 inclusivement. Une autre circulaire avec mention urgent datée du 20 mai 1943 montre, que cette mesure était peu respectée.
A la suite de cette loi on verra fleurir sur les murs les affiches demandant à tous les jeunes de s’engager dans la Légion des Volontaires Français pour aller se battre aux côtés des Allemands contre les troupes russes. Par une circulaire du 28 mai on apprend que lorsqu’un de ces jeunes change de domicile il doit obligatoirement se présenter à la mairie pour y retirer une nouvelle carte de travail.
Malgré toutes ces mesures, si certains sont obligés de-partir d’autres vont chercher à éviter le départ en se camouflant dans les campagnes ou en rejoignant les maquis qui commencent à se faire connaître dans le secteur. Alors s’organise contre ceux que l’on appelle les réfractaires une chasse terrible, qui va faire d’eux des marginaux selon l’administration. Tous les jeunes qui circulent doivent présenter leur carte.
Le 10 juillet pour hâter la découverte des insoumis demande est faite à tous les maires de faire parvenir d’urgence à la préfecture la liste de tous les jeunes appartenant aux classes soumises au S.T.O. encore résident dans la commune, leur profession, leur adresse exacte et les raisons justifiant leur présence dans la commune. Deux télégrammes datés du 16 juillet montrent l’insistance et les difficultés de l’administration; le deuxième veut « attirer l’attention du maire sur les dispositions de la circulaire du gouvernement concernant le pointage de la carte de travail des jeunes gens astreints aux S.T.O » et précise que « ces pointages doivent avoir lieu obligatoirement aux dates fixées par les circulaires ». Une annotation nous apprend que l’état des « cas douteux » a été envoyé le 22 juillet et il ne comprend qu’une mention «Seul monsieur Courtois, garde des communications est indiqué»).
Tout cela fait prendre conscience de la difficulté des maires et il est sûr que le maire et la gendarmerie ont fait le maximum pour éviter des poursuites. Nous retrouvons la liste qui a été adressée le 16 juillet. Elle n’est pas complète car il manque des éléments de la classe 42 qui sont partis en Allemagne dont deux malheureusement vont mourir sous les bombardements alliés: ce sont Gilbert Rageau de Pommeroux et Camille David de la Groie, tous les deux sont fils d’agriculteurs. Il manque également des noms dans la classe 40. Certains ont été requis pour aller travailler à la construction de la base sous-marine de La Pallice. Ils reviendront en permission mais ne regagneront pas tous leur lieu de travail pour rejoindre les maquis ou séjourner dans des fermes isolées. Malheureusement d’autres rejoindront volontairement l’organisation Todt.
La résistance et la garde de la ligne de chemin de fer.
En 1943 la résistance qui s’est organisée continence à mener des actions contre l’occupant. Qualifiés de terroristes car ils s’attaquent aux soldats et aux intérêts allemands ils sont pourchassés. En 1942 de nombreux résistants communistes sont arrêtés. On note des arrestations dans toutes les communes pour des motifs divers, propagande anti-allemande, détention de tracts anglais lâchés presque chaque nuit par l’aviation et que les Français essaient de faire circuler. Il m’est arrivé, allant quelquefois dans la région de Marnay, d’en ramasser ainsi que des petites bandes d’aluminium lâchées pour brouiller les radars allemands. Un jeune de Marnay a été tué pour avoir été pris avec des tracts. Sur les murs les Allemands placardent des affiches (affiches blanches entourées d’une large bande noire) annonçant la mort par fusillade d’otages. Le 18 juin le préfet de la Vienne, monsieur Bourgain nouvellement nommé à la place d’un préfet pas suffisamment énergique dans l’application des lois concernant le travail obligatoire, lance un avis à la population pour aider la police à retrouver les auteurs des attentats commis sur les soldats allemands.
Depuis le début de l’année trois soldats ont été tués sans que les Allemands aient pu arrêter «les assassins ». Le préfet utilise le prétexte de la condamnation à mort par le tribunal de Châtellerault de cinq communistes pour affirmer que « la rigueur ne cessera que lorsque la population aura prouvé par son aide qu’elle se désolidarise de ces assassins ». La population reste insensible continuant à aider, quand cela est possible la résistance.
La résistance mieux organisée et plus nombreuse s’en prend maintenant aux matières réquisitionnées par les troupes d’occupation. Dans plusieurs communes du département où stationne une presse à fourrage, le stock de foin et même les presses sont incendiées pendant la nuit. La préfecture, en réaction, décrète le 23 avril de faire garder de nuit tous les stocks et les presses . Ainsi de nouveaux tours de garde sont organisés. On utilise la liste dressée à la suite de la coupure de la ligne téléphonique à laquelle on joint celle des jeunes des classes mobilisables du S.T.O. qui sont encore à Vivonne. Voici les consignes pour cette garde :
1. Les hommes désignés pour cette garde prendront leur service l’un à 19 heures, l’autre à 22 heures. Le premier finira sa garde à 5 heures du matin, le second à 8 heures.
2. Il est défendu de fumer.
3. Les gardiens ne devront laisser approcher personne du tas de fourrage. Ils ne devront pas quitter leur poste avant que les remplaçants soient arrivés.
Cette garde fut assurée tant bien que mal, plutôt mal que bien l’important tas de foin était attirant pour y faire un « bon somme », tout en assurant quelques rondes en cas de visite allemande. A Vivonne la presse se trouvait sur le champ de foire aux porcs, (l’actuelle place-des Tilleuls), à proximité de la gare pour les expéditions. Cette garde va donc durer quelques mois. La réquisition du foin dure du mois d’août jusqu’en octobre. En cette période de septembre octobre la résistance s’attaque aux sous-stations électriques de la S.N.C.F. afm de ralentir le trafic des trains de troupes ou de ravitaillement. La préfecture demande au maire par une circulaire en date du 11 novembre de bien faire assurer la surveillance de la sous-station de La Planche, en requérant chaque jour 15 soit 3 équipes de 5 se relevant chacun à 8, 16 et 24 heures à compter du 15 novembre.
La désignation des hommes de garde se fera par quartier pour Vivonne et par village pour les campagnes. – De façon à ce que les hommes partent ensemble, surtout que tous ne possèdent pas un vélo, nous devons emporter notre casse-croûte, c’est uite véritable expédition. Bien entendu nous n’accomplirons pas la mission dans les termes de la circulaire préfectorale. Nous sommes deux à faire le tour de la sous-station, un bâton à la main, sans l’intention de nous en servir contre les maquisards. Nous prêtons surtout attention aux patrouilles allemandes mais aussi aux patrouilles des gardes de voies Français qui ne sont pas toujours aimables. La garde du jour est un peu plus active et facile : un tour dè temps en temps -dégourdissait les jambes après une partie de cartes.
I1 arrivait que nous ne sortions qu’à l’arrivée d’une patrouille. Si celle-ci venait du tunnel des Bachers nous sortions par la porte, si elle venait de Vivonne nous sortions par la fenêtre côté tunnel car le poste de garde était ainsi fait que l’on avait la visibilité des deux côtés. Placé le long de la voie c’était un petit baraquement aménagé d’une table, de bancs, de châlits superegés pour le repos des gardes et d’un poêle à bois et à charbon. Certaines équipes de la campagne arrivent avec tout ce qu’il faut pour entretenir le moral et passer un bon moment ensemble. On y distribue largement le vin. Pour Noël une équipe a même emporté des huîtres qu’ils dégustent malgré l’intervention du chef Français des gardes de communications.
Un autre jour un beau canard d’Inde venant chaque jour d’une maison proche de la sous-station pour manger les restes de pain, ne pourra rentrer chez lui que dans les bras de sa propriétaire qui, le croyant malade, décide de le tuer le lendemain. Le canard était seulement ivre car un camarade lui avait fait manger du pain trempé dans du vin (du Noa). Heureusement le lendemain le volatile retrouva ses esprits et put goûter à la vie encore quelques jours. Les tours de garde n’arrivaient que tous les quinze jours, nous étions environ 200 hommes pour cela.