La Treille et Napoléon 1er

La Treille et Napoléon 1er

Même dans le domaine de l’histoire, la mémoire collective reste sélective. Pourtant, il serait dommage d’oublier le restaurant de Vivonne «la Treille», aujourd’hui fermé, un monument gastronomique, ce genre de nid gourmet dont seule la France a le secret. Un site remarquable que les fidèles du célèbre guide Michelin et du Gault et Millau adulaient déjà à l’époque de son premier chef Léon Cadu. Ce serait trahir l’histoire de la Treille que de ne pas citer ce père fondateur de la maison, originaire des Deux-Sèvres. Ce talent qui lança son restaurant peu après la dernière guerre avec sa femme et sa mère, a eu un itinéraire spécifique: une formation polyvalente (il était doublement diplômé, en pâtisserie et en cuisine), et un passage par une grande maison parisienne encore existante, et spécialisée dans le travail du poisson, le restaurant  » Prunier » à Paris. Il a formé non seulement Jacquelin Monteil mais aussi bien d’autres chefs dont la carrière a été parisienne, voire internationale. Il a reçu pour cela les palmes académiques. Et Jacquelin Monteil a su tirer bénéfice pendant 3 ans (1964-67) d’un savant apprentissage auprès de Léon Cadu. Il lui devait une bonne part de son savoir-faire, grâce à son passage au restaurant alors qu’il avait 15 ans. 

Route impériale N°10
La Treille fin XIXe

On peut s’attarder sur le parcours de cet apprenti qui une fois son CAP en poche, officie un an d’abord à  » l’Archestrate  » à Paris, avant de devenir saucier à la « Tour d’Argent « , et de continuer au « Laurent ». Puis à l’île d’Oléron il accompagne l’ouverture du nouvel hôtel Saint-Georges. Son périple continue par Tours, au resto « Le lyonnais » avant de passer chef au « Méridien » dans la cité tourangelle. Changement de Méridien ensuite, de Tours à Nice. Enfin quatre années passées dans le Var, avant de prendre le relais de « la Treille » offert à Vivonne par le « Frère Cadu » qui aspirait à une paisible retraite longuement mijotée.

L’historien André Castelot n’est pas non plus étranger à la renommée du lieu, puisque dans un ouvrage qui fait référence parmi les restaurateurs de l’hexagone: « l’histoire à table », il mentionne l’existence de ce relais pour chevaux pressés, où le voyageur qui descend vers l’Espagne comme l’empereur Napoléon en 1808, peut déjà y apprécier le fameux farci poitevin.

La halte napoléonienne

Poitiers a vu passer bien des têtes couronnées, et notamment Napoléon Ier empereur des Français. Ce dernier est venu à Poitiers deux fois en 1808 (le 3 avril et le 31 octobre), une autre fois en 1809 (22 janvier) et enfin le 1er juillet 1815 après Waterloo. Napoléon en voyage, c’est tout un convoi qui l’accompagnait. Il y avait avec la voiture de vie qui contenait une couchette et ses accessoires, la voiture de bouche. Celle-ci, qui nous occupe surtout transportait le précieux Chambertin et d’autres vins fins destinés aux grands officiers de la suite impériale. Dans l’un des compartiments de cette berline, on trouvait la batterie de cuisine, un fourneau portatif… et le personnel, un maître d’hôtel, deux cuisiniers et un garçon de fourneau.

Ensuite venaient les fourgons de provisions. Comme à l’accoutumée, il fallait se hâter pour servir l’empereur qui voulait déjeuner à n’importe quel moment et ne prévenait guère d’avance. On déchargeait les provisions, on allumait vite les fourneaux, le mamelouk Roustan et les valets apportaient les plats dans des casseroles argent, on avalait le café précipitamment et moins d’une demi-heure après tout avait disparu. (1)

On comprendra d’autant mieux l’effet produit par l’impressionnante arrivée de Napoléon à Vivonne.

Car pour une fois, c’est à la Treille de Vivonne qu’exceptionnellement le 3 avril 1808, Napoléon a pris le temps de savourer un repas en voyage. Après avoir pris un consommé à l’Ecu d’argent à Poitiers (boulevard Jeanne d’Arc actuel) Roland Engerand (2) nous raconte en effet, que l’empereur qui se rendait en Espagne s’est arrêté à Vivonne petit bourg du Poitou. Très préoccupé par les événements, impatient comme toujours, il décida pour ne pas perdre de temps pendant qu’on changeait les chevaux, de dîner sur place, à l’hôtel de la Treille. Branle-bas de combat dans l’auberge. Que servir à Napoléon ? Heureusement, il y avait du farci, spécialité poitevine à base d’épinards et d’œufs. Dégustateur accéléré en général, cette fois napoléon s’interrompit pour remercier et féliciter ses hôtes. (3)

Napoléon était parti de Poitiers sous les acclamations de la foule, en direction de Vivonne par la route impériale n° 10. La garde d’honneur et la gendarmerie à cheval l’ont accompagné jusqu’à Croutelle. Là l’empereur les remercia. Arrivé à Vivonne il fit quelques pas sur le pont des Carmes presque neuf à l’époque. S’accoudant au parapet, il se fit indiquer le nom de la rivière. Il trouva la Vonne belle et silencieuse… et demanda au maire si elle était poissonneuse, souhaitant voir tous ses sujets pêcher à la ligne, disant que c’était un plaisir de sage.

En réalité arrivé à Vivonne en pleine nuit l’empereur, a couché à l’hôtellerie du pont des Carmes. Il se dit qu’une famille conserve pieusement à Vivonne le lit en fer où l’empereur a dormi. (4)(5)

 

(1) (2) (3) André Castelot : « l’histoire à table »

(4) Le Picton n°3 mai-juin 1977.

(5) M. Victor Pépin qui le tenait de sa marraine (Savin): Napoléon se serait arrêté à l’Auberge des Carmes, face à la Mairie. Mais il a pu avec sa garde (l’Auberge des Carmes étant trop petite) se présenter à l’Auberge de la Treille.-source: J. Bouchet-