De Sarzec et Soulages
Les liens entre le centenaire du peintre: Soulages et le prince Gudéa
L’exposition, « Soulages visite le Louvre » présentée au musée Soulages de Rodez (1), a mis en parallèle des tableaux de Pierre Soulages et entre autres une statue, « le Gudéa à l’épaule brisée », découverte par l’ archéologue Ernest Chocquin de Sarzec, originaire de Vivonne. Cela suffisait pour attirer notre attention sur les liens qui unissent le travail de l’archéologue et le peintre…
Une statue trouvée sur le site de Tello en Mésopotamie (2)
Ernest de Sarzec (1832-1901) , après un séjour comme consul de France à Massouah en Ethiopie de juin à décembre 1875 est nommé au poste consul à Bassorah en Mésopotamie qu’il rejoint en janvier 1877. La Mésopotamie est alors le lieu de recherches archéologiques importantes, principalement dans la vallée du Tigre, marquées par la concurrence entre les Anglais, les Allemands, les Américains et les Français. De Sarzec, peu occupé par son poste de consul se prend à ce jeu et mène alors de 1877 à 1900 onze campagnes de fouilles dans une région délaissée, en Basse Chaldée, sur le site de Tello (Girsu) et c’est là qu’il découvre les premiers restes de la civilisation sumérienne. Ses découvertes ont un immense retentissement dans le monde de l’archéologie et de l’histoire. Il rapporte, entre autres de ce site un nombre important de statues du Prince Gudéa dont celle exposée au Musée de Rodez, « le prince à l’épaule brisée ».
Pierre Soulages et les antiquités chaldéennes
L’œuvre de pierre Soulages a été influencée par de multiples sources apparues dès son enfance, et à son adolescence, des influences liées au contraste lumineux, au rôle du noir pour valoriser la lumière. Mais aussi ce qu’il appelle « les moments d’origine » qu’il avait ressentis autour de l’archéologie et à l’occasion de visites de sites et musées (fouilles sur le causse aveyronnais, peintures rupestres d’Altamira, art roman, art africain…). Lors de ses visites au musée du Louvre, il a été impressionné – au double sens du terme- entre autres , par les statues de Gudéa, et en particulier par leur matière première , la diorite, une roche noire, reflétant la lumière et par l’art du sculpteur . Il dit, à propos de la statue du Gudéa à l’épaule brisée: « Elle est sobre, noire, épurée et d’une présence extraordinaire ». Il précise dans « les dialogues du Louvre, Pierre Soulages », de l’historien d’art et écrivain Pierre Schneider : « J’aime ce côté minéral, cristallin que prend l’écriture cunéiforme gravée dans une stèle ».
« la statue de Gudéa à l’épaule brisée », d’après André Parrot :
« Dédiée à Ningirsu, statue acéphale, un peu endommagée car l’épaule droite manque ; le cartouche a dû sauter en même temps. Dans le dos une inscription s’étale sur 6 colonnes et 107 cases. Au centre une troisième colonne, un grand vide sépare le texte en deux parties.
Cette inscription, en partie parallèle à celle de la statue E (le Gudéa aux larges épaules), rappelle tout d’abord les fondations pieuses de Gudéa, destinées à Ningirsu (3), Bau, Ningizzida ; suit la liste des présents offerts autrefois à Bau et renouvelés dans son temple « en cadeaux de noces » : bœufs, moutons, agneaux, fruits, oiseaux et volatiles divers, poissons, bois.
Aucun nom indiqué
Diorite vert foncé
H : 1,33m
Trouvé par Sarzec au palais (?)
Les découvertes de Sarzec, leur passage par Vivonne et la création du département des Antiquités orientales du musée du Louvre
C’est à l’occasion de sa troisième campagne, débutée le 21 janvier 1881, que de Sarzec trouva sur le tell du palais, 9 statues et fragments ainsi qu’ « une quantité d’autres antiquités chaldéennes ». Cette récolte se continua lors de la quatrième campagne menée du 12 novembre 1880 au 15 mars 1881. Il rentre en France le 31 mai 1881 avec les grandes statues de Gudéa et d’Ur-bau. Elles sont probablement passées par Vivonne comme le laisse penser le témoignage de Victor Pépin laissé à monsieur René Benaiteau (4): « les pierres furent ramenées dans un premier temps à La Carrelière puis transportées à Paris. Ces pierres furent transportées à l’aide d’une charrette attelée à deux chevaux vers la gare où étaient les wagons transporteurs . A ce sujet la rumeur publique vivonnoise n’était pas tendre avec de Sarzec :« C’est ti pas malheureux de perdre son temps à charrier des chailles ». Pas étonnant qu’il n’y ait pas eu beaucoup de monde à son enterrement auquel le grand-père Pépin assistait »
Devant l’importance de la découverte Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, fait voter par la chambre un crédit de 130000 francs pour l’acquisition par le musée du Louvre de ces antiquités chaldéennes. Pour les abriter et les conserver on crée une section des Antiquités orientales dont Léon Heuzey , conservateur adjoint des Antiques du musée du Louvre, devient le titulaire.
Pour remercier de Sarzec pour la contribution exceptionnelle qu’il apporte à l’orientalisme, l’Institut le nomme membre correspondant de l’académie des inscriptions et belles-lettres à la fin de l’année et chevalier de la Légion d’honneur le 27 septembre 1881 (5).
C’est donc, dans le courant du siècle suivant, qu’un peintre ruthénois, en parcourant ces Antiquités orientales dont il est devenu un familier, fut touché par ses statues, leur matière, leur couleur, leurs reflets et leur présence au-delà du temps. Il précise avoir aussi été marqué par la statue de « l’architecte à la règle », trouvée également par de Sarzec et par l’écriture sumérienne en laquelle il reconnaît « un geste dénudé vers la matière revêche »(6).
Statues et Antiquités chaldéennes ramenées par Ernest de Sarzec sont donc « encrées dans le noir et « l’Outrenoir » de Pierre Soulages.
Ainsi, cette rencontre entre Pierre Soulages et les découvertes mésopotamiennes nous apparaît sublime, dans ce sens où elle nous invite à penser au rôle de la portée du regard au-delà du temps, ou comment une œuvre, des œuvres, des témoignages (7) peuvent être sources de création, de culture à travers les siècles. Elle nous invite, nous Vivonnois, à valoriser auprès de nos concitoyens, et, en premier lieu, les scolaires, les découvertes de de Sarzec (8). C’est ce que veut initier ce premier article.
Texte et photos Jean-Pierre Chabanne
(1)Exposition intitulée : Soulages, visite le Louvre https://musee-soulages-rodez.fr/ du 18 janvier au 12 avril 2020
En parallèle, une autre exposition était visitable du 14 juin au 10 novembre 2019 , au Musée Fenaille de Rodez, intitulée Pierre Soulages, Un musée imaginaire . Voir catalogue, « Pierre Soulages, un musée imaginaire », musée Fenaille, 112 pages, juin 2019, Rodez agglomération
(2)André PARROT, Tello, les campagnes de fouilles (1877-1933), A. Michel, 1948, 365 P. BHA Poitiers
(3)Ningirsu, dieu de l’ouragan,dont l’emblème est IMGIG, l’oiseau divin, aigle léontocéphale liant deux lions.
BAU est la déesse associée à Ningirsu, sa parèdre. Elle est dame de la prospérité, qui fixe le destin,qui juge dans Girsu (Tello), la cité du prince ou patési, Gudéa
Ningizida, fils de Ninazu, son dieu personnel, « le seigneur de l’arbre »
Louvre A07.Biblio : Découvertes p. 133, pl 13, partie épigraphique XXV-XXVIII ; catalogue pp 187-188 ; ISA pp 127-131 ; Contenau , MAO II p. 720
(4)Lettre de monsieur René Bénaiteau (âgé de 88 ans alors) en date du premier décembre 2002, adressée à monsieur Jean-Pierre Chabanne. Nous nous étions rencontrés au musée de Béruges et avions échangé sur Ernest de Sarzec.
(5)Annie CAUBET, Le musée du Louvre et la naissance de l’archéologie orientale, Dossiers d’archéologie, collections du Louvre, Mésopotamie, n°288 novembre 2003
https://www.louvre.fr/oeuvre-notices/statue-acephale-de-gudea-prince-de-lagash
(6)Pierre SCHNEIDER, Les dialogues du Louvre, Pierre Soulages, 1963, Preuves)
(7)Jean-Pierre CHABANNE, Recherches sur Ernest de Sarzec, en collaboration ponctuelle avec madame Michelle RIVAS et Jean-François LIANDIER
Jean-François LIANDIER, Ernest Chocquin de Sarzec (1832-1901), diplomate et archéologue, Le Picton n° 174 novembre-décembre 2005, pp 30-36.